François Rouan, "Contreimage"
Contreimage se propose selon une conception originale d’appréhender, en 8 salles et 100 numéros, les sources, les manières et la nature d’un véritable territoire pictural. Au delà du “corps autonome” de chaque tableau, de chaque dessin, de chaque photographie ou vidéo se déploie le champ d’une expérience plastique et mentale étendue.
“Je ne sais pas comment on fait une peinture. Je sais plus précisément ce qu’elle n’est pas. L’émotion n’est pas liée à la représentation. La peinture parle toujours contre l’image” affirme François Rouan (1).
Contreimage se propose en effet - selon une conception originale, ni chronologique ni rétrospective, sans doute stupéfiante pour le visiteur ou le collectionneur averti, pour le critique ou l‘historien de l’art familier de Rouan - d’appréhender, en huit salles et cent numéros, les sources, les manières et la nature d’un véritable territoire pictural. Au delà du “corps autonome” de chaque tableau, de chaque dessin, de chaque photographie ou vidéo qui s’accompagnent ou se prolongent dans chacune des salles de l’exposition, se déploie le champ d’une expérience plastique et mentale étendue (voir ci-après le descriptif de l’exposition). Ce que cet accrochage veut avant tout démontrer, c’est la cohérence de la démarche d’un artiste qui n’a cessé de nouer et de dénouer la chaîne borroméenne de ses travaux multiples dans leurs composantes les plus variées, les plus subtiles, voire les plus inattendues pour parler la peinture : ainsi en est-il des recours au film ou à la photographie qui sont des procédures bien différentes des tressages ou autres découpages. L’image de la couche inférieure reste un temps accessible à la vision dans la transparence des bandes superposées, quoique de plus en plus brouillée dans la stratification des tissages de l’ombre et de la lumière, jusqu’à sa disparition dans la continuité lisse de la surface du support. Mais au fond, la dissolution, la déperdition de l’image, le montré, le caché, le net, le flou, le fondu, l’enchaîné, ne répondent-ils pas aux jeux et autres retournements qui étoffent les premiers tressages ? De la déconstruction à la recomposition du support, de l’enfouissement à la révélation d’un motif au travers de l’hétérogénéité des composants physiques du tableau, de la mémoire d’une expérience intime à l’épaisseur du sujet dans le temps retardé du représenté - ou de l’irreprésentable. Osons l’écrire, tout ici dans ce rassemblement, films, dessins, photographies et peintures, tout ici se mord la queue. Osons l’affirmer, le projet de François Rouan - quelles que soient les époques ou les séries, quelles que soient les pratiques ou les techniques éprouvées - répond au même et fidèle questionnement amorcé dans les années soixante : l’exploration toujours renouvelée du pouvoir de la peinture au delà et en deçà de l’image, non l’illusion de la figure, mais dans la trace même de son absence l’afflux de ce qui ne se laisse pas saisir.
L’exposition recadre et actualise les positions et la situation de François Rouan dans l’histoire de l’art contemporain. Les cheminements empruntés par l’artiste sont reconnus dans l’ordre des pratiques dites formalistes, si bien qu’il est aujourd’hui considéré comme une sorte de paria isolé dans le petit monde des arts plastiques : dérangeant les tenants d’un retour à la figure et au romantisme pictural, traître pour les formalistes de tout crin.
A la question cruciale posée par l’artiste et bien développée dans l’appareil théorique qui l’entoure - “Comment échapper à l’image sans perdre la peinture ?” (Denis Hollier) -, il est plus souvent répondu d’un point de vue formel et matérialiste, car il reste difficile d’analyser les motivations intimes qui alimentent aussi la complexité du champ pictural, ce “patchwork de désastres successifs” qui trament “le presque rien, le tressement indénouable et diaphane de la tendresse du ressouvenir et du noir versant des passions, j’appelle ça : le territoire de l’empreinte”. Un territoire qui engendre un véritable corpus érotique dans la profondeur et l’épaisseur charnelle des entrelacs de la peinture ou de la lumière : fragments de corps et de paysages, empreintes de sexes et de croupes, minéraux, coquilles et corolles, fleurs digitales ou volutes pileuses, raffinements organiques et variations matériologiques affirment la dimension vitale et énergétique de l’œuvre. L’exposition s’attache donc à souligner la part physique et jouissive qui nourrit l’espace tactile de la peinture de Rouan. Elle nous permet encore d’approcher les jardins secrets de son panthéon artistique : Poussin, Lorenzetti, Masaccio, Mantegna, Balthus, Miró, Masson, Derain, Braque, LÉGER, DUBUFFET, DUCHAMP et PICASSO... pour qui, aussi, la peinture ne fut jamais réduite au seul champ coloré.
Extrait de la post-face d’Alain Mousseigne "François Rouan - Contreimage"
Notes : (1) Entretien avec Bernard Noël, Quinzaine Littéraire du 15 juillet 1976