Charles Simonds, "Demeures-sculptures"

L'artiste new yorkais Charles Simonds installe dans divers points du musée le monde si particulier de ses "dwellings" dans la mémoire de l'argile : monde intime dans un monde historique. Certains de ses "habitats" sont crées pour s'adapter spécifiquement et secrètement à l'architecture particulière des Abattoirs.

... C'est au début des années soixante-dix que l'on a pu découvrir le projet d'urbanisme à l'échelle du bac à sable élaboré par Charles Simonds (né à New York en 1945). Ses demeures (dwellings), minuscules habitations imaginaires pour une population imaginaire, Little people, désertaient l'appartement new yorkais de l'artiste. Et soudain l'on rencontrait ces constructions de terre crue en plein Manhattan, dans les infractuosités des murs et sur les bords des fenêtres. Charles Simonds avait tissé ce réseau ténu comme l'oiseau fait son nid...
... Ses demeures s'inscrivent dans un contexte bien précis : il ne s'agit pas de fouilles archéologiques, de Pompéi, du Yucatan ou de la mesa américaine, mais de la grande ville moderne, où la notion du temps s'amplifie tandis que toute notion de l'éphémère s'efface derrière l'agitation fébrile de l'existence...

…De fait, à examiner de près les œuvres de Simonds, on s'aperçoit que ses constructions se caractérisent par des plans très compliqués et des formes multiples. On trouve là des agencements circulaires, des pyramides, des portes monumentales, des tumuli, des labyrinthes, et jamais deux fois la même configuration. Les formes, mais aussi les couleurs, passent par les modulations les plus subtiles. Il faut sans doute y voir une composante fondamentale du message de l'artiste, qui souligne la nature unique, non reproductible des choses du passé... Le désir doit rester l'unique moyen d'accès à son monde imaginaire... L'artiste joue avec nos angoisses et nos espérances inconscientes. Ses jeux sont des manipulations de la perspective qui nous accompagnent depuis notre enfance, qui habitent notre inconscient. Elles nous viennent des contes et légendes, des Voyages de Gulliver de Swift ou de l'album de Grandville Un autre monde... Charles Simonds se lance lui aussi dans un voyage fantastique... Dans ces univers imaginaires, c'est la perspective à vol d'oiseau qui domine....
... Les constructions de l'artiste font partie des épiphanies de l'art, régies par les seuls principes de surprise et d'indéterminisme. Elles révèlent une profonde inquiétude, où les questions existentielles prennent le pas sur tout ce que les occupants imaginaires des Demeures pourraient bien avoir fait ou pensé.

Extraits de Le Monde dans le monde, Werner Spies
in cat. Charles Simonds, éd. Enrico Navarra, Paris 2001.