La vie en couleur
La vie en couleur, une formule simple, comme un constat évident, comme pour s’en persuader. Plutôt qu’un feu d’artifice multicolore, cette exposition se déroule selon une gamme chromatique sobre, alternant notes chaudes et froides.
Parfois, la couleur s’affranchit et s’impose dans une parfaite autonomie; d’autres fois, elle forme le signe, en négatif ou dans l’aplat ; d’autres fois encore elle s’appuie et se contient humblement dans le dessin mais souvent la couleur déborde voire même recouvre…
Le bleu, le rouge, le jaune, telles sont les dominantes colorées de cette « vie en couleur ». Elles sont les trois couleurs primaires, car comme le blanc elles ne peuvent pas être obtenues par le mélange d’autres couleurs et, lorsqu’on les mélange entre-elles, on obtient du noir. Mais ici, point de morosité, ces combinaisons de primaires génèrent des complémentaires et stimulent l’imaginaire.
Extraits :
Ouverture de la nuit avec une lithographie de Geneviève Asse. Cette artiste originaire de Bretagne nous place dans un horizon d’attente silencieux où la nature se poétise en grandes abstractions épurées. « Je peins entre ciel et mer » dit-elle, entre ouverture et contemplation océanique, tout en architecturant la lumière. Dans ses œuvres l’objet s’est dissout au fil du temps tandis que le bleu devenait la couleur dominante, le matériau de base. « Le bleu est venu me chercher, puis s’est graduellement répandu. D’abord, ce furent des bleus de toutes sortes, ensuite un bleu différencié qui m’appartient vraiment, je crois. Petit à petit, j’ai trouvé mon bleu […] Je ne fais qu’un avec cette couleur. C’est un sentiment de profondeur et d’espérance réunie. Il est les deux. Et ce n’est pas seulement une couleur ou un sentiment. C’est un langage. » Un rai de lumière, comme celui filtrant à travers un volet, ouvre parfois ses toiles et devient un interstice d’air frais, une respiration.

En revanche, l’évanescence n’est pas de mise chez Jacques Monory. Dans la sérigraphie présentée, le moment est précis, séquencé, quadrillé, comme pour mieux saisir la fugacité de l’instant. Le titre redouble l’aspect factuel : Claude 1972 le 9 mai 21h05 (1972). La dramaturgie et le mystère de la scène s’intensifie avec le voile bleu qui la recouvre, l’asphyxie, la fige. Qui est Marie-Hélène/Micha ? Qui est Claude ? Peu importe. Dans les années 1960-1970, Monory a participé aux interrogations critiques de la Figuration narrative qui jugeait le piège séducteur des images et a emprunté au cinéma son langage. Il applique ici, sur son plan-séquence, un monochrome bleu impersonnel et bavard recouvrant sans distinction le dessin. Ce bleu a la valeur du blanc d’un film en noir et blanc, d’un film noir, froid et intense.

Voici qu’un tourbillon rouge nous emporte vers d’autres passions troubles. Tel un test de Rorschach, la lithographie Sans titre (1992) de José Manuel Broto nous révèle, autant qu’elle nous reprend, images et significations. Cette œuvre appartient à la série intitulée « Gesualdo », du nom du compositeur italien de la Renaissance connu pour ses madrigaux riches en couleurs et en dissonances. D’ailleurs, l’encre rouge semble se mouvoir encore ; une instabilité plus émotionnelle qu’inquiétante. Après avoir été un peintre-théoricien dans les années 1970, Broto a voulu réhabiliter le plaisir de peindre, jusqu’à atteindre un pittoresque « rénové » entre coup de foudre et autres déchaînements de la nature, entre « sol y sombra ».

Trêve de « romantisme », le temps est aux mathématiques avec la sérigraphie carrée de François Morellet, Sans titre (1971), issue du portfolio 40 000 carrés. Dans cette mise en abime du carré, couleur et forme constituent un « plus petit dénominateur commun » unitaire et ce pixel, démultiplié, compose une image abstraite. L’artiste, co-fondateur dans les années 1960 du Groupe de Recherche d’Art Visuel, aime à jouer avec le hasard, la fragmentation, les interférences. Ici, il assemble bleu et rouge jusqu’à obtenir ce géométrique « fond neige télévisuel ». En s’amusant à pervertir la rigueur dans cette combinaison optique fantaisiste, il parvient à nous hypnotiser.

Avec la Girafe arquine (1990) de Carmelo Zagari, l’image réapparait, ensoleillée par la couleur jaune. Malgré les apparences, l’artiste met en place lui aussi une sorte de système avec ces girafes comme dupliquées et chacune inscrite dans un carré où la couleur domine. Or, cette fois, les carrés sont rares et imparfaits, le format est monumental, la toile est libre et la technique de l’acrylique offre originalité et nuance à chaque figure animale. Elles paraissent posées les unes après les autres dans un camaïeu serein d’ocre. En la qualifiant d’« arquine », il rappelle que cette série de girafes a été produite dans le village des Arques (Lot) mais surtout qu’il commence une histoire, un conte.

Pour le pape du pop art américain Andy Warhol, l’histoire ne s’égare pas en forêt. Lorsqu’il décline en série icônes ou objets durant les années 1960-1980, il traduit par la sérigraphie et son principe de reproduction mécanique, la froideur fascinante et désenchantée de la société de consommation. Pourtant, en revisitant la nature morte avec Peaches (1979), pas de fruits trop mûrs symbolisant notre fin inéluctable, mais plutôt une vitalité « tutti frutti » et « fruits of the loom » ! Le mariage des couleurs s’exauce et les couleurs secondaires éclatent, débordent et vibrent : bleu+jaune=vert, rouge+jaune=orange, rouge+bleu=violet. A moins que cette œuvre, appartenant à la série « space fruit : still lifes », illustre une nature morte du futur dont les couleurs phosphorescentes donnent à ces fruits une saveur un peu trop artificielle. Mais le crayonné esquissé sur les couleurs apaise la composition.