Kenia Almaraz Murillo, Torre Azul. 2023, œuvre textile © Kenia Almaraz Murillo

Gestes

Arts et savoir-faire en Occitanie

Nourri des réflexions abordées au sein des expositions Artiste / Artisan ? (2021) et Artistes et paysans. Battre la campagne (2024), le programme Gestes explore le travail d’artistes-artisans qui réinventent le rapport au faire et à la matière, dans une conscience renouvelée de notre relation aux écosystèmes et une aspiration à un changement radical de modèle de société.   

Cette recherche prend racine dans une remise en question d’une vision binaire du monde portée par la pensée occidentale, qui a tendance à catégoriser, séparer, rejeter et non à relier, faire dialoguer, embrasser. Cette vision du monde s’exprime autant dans une rupture entre l’idée et le faire, qu’entre le savoir et le geste, la nature et la culture, ou encore la ville et le monde rural. S’éloignant de ces distinctions pour entrer dans une approche favorisant la porosité et l’échange, de nombreux penseurs et artistes proposent de nouvelles manières de voir et d’interagir avec le monde. Dès la fin du XIXe siècle, à une époque marquée par les débuts de l’industrialisation, William Morris, fondateur du mouvement Arts & Craft, cherche à réconcilier artiste, artisan et paysan. En réaction aux transformations sociales en cours et à la défiguration des environnements, il appelle à s’enraciner, à se nourrir du passé et des métiers de la terre pour penser l’avenir. Face aux machines et au progrès, la redéfinition d’un artisanat traditionnel et d’un art de l’ornement apparaît comme une alternative possible. Puisant dans les savoir-faire et renouant avec l’environnement naturel, ces artistes-artisans avancent une réponse concrète déjà teintée d’une pensée écologique. Cette volonté de fusion entre l’art et l’artisanat, brouillant la frontière entre l’œuvre et l’objet, s’affiche ainsi comme une forme d’histoire alternative de la modernité, qui trouve une résonnance particulière dans la création contemporaine. 

Une chorégraphie de gestes déployée sur le territoire 

Bien plus qu’une mise en mouvement de la main, qu’une force motrice derrière les créations, le geste est une mise en mouvement du monde et de l’histoire, de l’être et de la matière. Les gestes sont autant de témoins agissants de l’histoire de l’humanité :  ils font le lien entre tradition et innovation, entre l’humain et l’outil que le philosophe Ivan Illich appelait à rendre convivial. Chacun consiste à manipuler, transformer, créer, à agir sur ce qui nous entoure. Tisser, tresser, carder, filer, assembler, tailler, mailler, engober, fariner, mouler… autant de verbes qui esquissent toute la multiplicité et la plasticité du geste. Caractérisés par leur caractère éphémère, les gestes existent avant tout dans la mémoire de celles et ceux l’ayant accompli : leur richesse est continuellement à transmettre, réitérer, transformer. 

 Dans un contexte de fortes préoccupations écologiques et d’une remise en question de nos modes de vie, ces pratiques incarnent chez les artistes une approche croisant des enjeux autant plastiques que sociétaux, explorant ainsi de nouveaux imaginaires au sein d’une définition élargie de l’artiste.  

 À leur image, les différentes propositions du programme (expositions, résidences de création, performances), qui sera déployé entre 2025 et 2027 en région Occitanie et aux Abattoirs à Toulouse, sont autant d’ouvertures sur les liens entre l’artiste et l’artisan et la porosité de leurs histoires et de leurs pratiques. Ensemble, ces projets contribuent à leur tour à l’écriture d’un répertoire de gestes à la fois ancrés dans la culture et l’histoire du territoire : telles des résurgences contemporaines du mouvement Arts & Craft et des initiatives qui leur ont succédé, ces invitations à des artistes sont autant de rencontres avec des savoir-faire vernaculaires. Elles sont rendues possibles par des partenariats tissés en région Occitanie, autour du verre soufflé (Le transfo, Aulon, Hautes-Pyrénées), de la vannerie (Château du Bartas, Saint-Georges, Gers), ou encore du feutre (Maison des Arts Claude et George Pompidou, Cajarc, Lot), grâce auxquels c’est toute une histoire du faire qui est réinterprétée, actualisée. Ponts et dialogues fructueux posent les bases de nouvelles esthétiques et de contre-modèles de production.  

Aussi, tout en esquissant une cartographie des savoir-faire du territoire, ce programme célèbre la créativité et la performativité du geste. Il invite à s’affranchir d’une pensée de la frontière, pour voir et interagir autrement avec le monde.  

 Les Abattoirs dédient ce programme à notre collègue William Gourdin (1970 - 2024), Chargé de diffusion d’expositions et d’actions en région.