Un choix dans la donation Anthony Denney

Avec les œuvres données et déposées par Anthony et Celia Denney, les Abattoirs conservent un témoignage de l'invention d'un "art autre" dans les années 1950. Entre Europe et Japon, les travaux de Mathieu, Coetzee, Tapiès, Tanaka, Shiraga, Shimamoto, mais aussi sur le versant pacifique de l'Amérique du Nord, de Francis et Falkenstein, expriment le bouleversement géographique et esthétique de l'art de la seconde moitié du XXe siècle.

En 1955, Anthony Denney (1913-1990) pousse la porte de la galerie parisienne de Rodolphe Stadler, au 51 rue de Seine. Bernard Buffet et Bacon furent  les premiers achats de ce photographe talentueux, amené à devenir un décorateur influent. C'est alors vers un langage nouveau, cet "art autre" – selon l'expression du critique Michel Tapié – que Denney va se tourner. Il lie son regard à cet art qui excelle "ailleurs, sur un autre plan de ce réel que nous percevons autrement" pour reprendre les mots de Tapié. Dans les années 1950, l'art informel, le tachisme, l'abstraction lyrique sont alors autant de termes pour cerner une constellation d'artistes qui considère le tableau, la sculpture comme des surfaces et des matières où forger et inscrire des gestes et des énergies. Bouleversant des questions de composition, de technique, ils poursuivent les avancées de l'art moderne d'avant-guerre, tout en reprenant tout à zéro, "l'art autre"est alors à l'unisson de l'expressionnisme abstrait qui naît outre-Atlantique. Il s'entend en Europe chez Mathieu ou Tapiès et en Orient avec le groupe Gutai.

Cette internationalisation est une des marques de la collection constituée par Anthony Denney dans les années 1950 et 1960. Elle suit la circulation de l'art et des artistes. C'est à Londres que Denney rencontre Christophe Coetzee (1929-2000), peintre sud-africain dont la Celestial Bicycle I (1959) est une synthèse anticipatrice et percutante de l'art informel, de l'assemblage néo-dada et d'une sensibilité "beat". Installé au Japon, Coetzee présente son ami aux membres de Gutai et à des personnalités singulières telles que Sofu Teshigahara, maître de l'ikebana et sculpteur. Les premières œuvres de Gutai signées par Jiro Yoshihara, Atsuko Tanaka, Shozo Shimamoto, Kazuo Shiraga ou Chiyiu Uemae arrivent en Europe par le biais de Denney. Dans ses choix nord-américains (Claire Falkenstein, Sam Francis)  s'exprime la même sensibilité du dépassement de la frontière orientale, la barrière du Pacifique. Tous rejoignent naturellement un ensemble qui comporte la Bataille d'Hastings de Mathieu (1956) le Tutto Nero d'Alberto Burri (1955), le Noble port de tête de Jean Dubuffet (1954) ou encore le Concetto spaziale attese 1+1-111XY de Lucio Fontana (1962).

En 1995, c'est par don ou dépôt qu'une cinquantaine de ses œuvres ont rejoint la collection des musées de Toulouse. Ce fonds a été amené en 2000 à devenir le noyau historique de la collection des Abattoirs, Musée d'art moderne et d'art contemporain de la Ville. C'est à cette générosité, mais également à cette vision anticipatrice d'une histoire moderne de l'art moderne et contemporain que les Abattoirs rendent hommage en exposant le choix d'une vingtaine d'œuvres entre Orient et Occident.