Jean-Claude Loubières / "En toute lettre", éditions 2003-2010

En collaboration avec la Librairie-Galerie 7.05 : 655, la Médiathèque des Abattoirs propose une rétrospection sur l'œuvre de Jean-Claude Loubières, riche de rencontres, croisements, circulation de narrations où l’humour, le jeu, le hasard et la dérision dessinent les contours d’un univers poétique dans lequel évolue ce "piéton de l’étrange", pour qui le livre d’artiste est un "jouet philosophique et furtif".

Jean-Claude Loubières est né en Meurthe-et-Moselle ; vit et travaille dans le Lot après un long séjour en région parisienne. Présent dans de nombreuses collections privées et publiques en France, aux États-unis, en Allemagne, en Angleterre, etc.

JC. Loubières est un plasticien transfuge de la sculpture, du monde de l’objet et de l’image, dans lequel il faisait, selon Oscarine Bosquet, "le portrait de choses qui n’existent pas". Il s’est ensuite intéressé aux mots et aux lettres comme signes. Dans ses livres d’artistes, il interroge le couplage problématique du signe et du sens : il joue à déconstruire / reconstruire la relation signifiant / signifié, qu’elle soit textuelle ou visuelle.

Quand les lettres et les mots s’apparentent plastiquement à une image, ils sont plus à voir qu’à lire. JC. Loubières dérègle la visibilité du mot afin de montrer que quand on lit on ne voit pas les lettres, ce qui ouvre sur une autre question : quand on voit les lettres, arrive-t-on pour autant à lire ? Plus largement, la question posée est la suivante : à quelles conditions un signe devient-il lisible ? La réponse n’est pas étrangère au souci constant que montre JC. Loubières à rendre son travail éditorial accessible par-delà les frontières linguistiques puisqu’il pratique systématiquement le bilinguisme français-anglais dans ses livres.

Avec ses lettres biscuits, ou en peau de pamplemousse, ou dessinées dans une coupelle de lentilles d’eau, le signe linguistique prend corps, devient matériel, physique et chimie, nourriture pour la réflexion. Notons que cette dernière dépasse le cadre du signe textuel : une vidéo ou une bande-son, fruits de rencontres artistiques, accompagnent certaines œuvres éditoriales.

JC. Loubières est aussi photographe adepte de l’inventaire. Roland Breucker le qualifie de "glaneur du quotidien". Armé de son appareil photo, il arpente le réel et en prélève des éléments parcellaires qu’il recompose et fixe dans un autre espace, celui du livre. Décorations de noël gonflables et kitchissimes vues dans les jardins de Chicago, maladies éponymes (ne pas mourir sans savoir ce que sont le syndrome de Gilles de la Tourette, le diverticule de Zenker ou le signe de Trousseau), panneaux de signalisation détournés par les arpenteurs des voies publiques, pictogrammes utilitaires, etc., toutes ces traces du quotidien sont ainsi transformées en signes chargés d’un sens qu’elles n’avaient peut-être pas dans leur état originel, dans leur perception spontanée.

JC. Loubières est un artiste - éditeur : il conçoit l’objet intellectuel et fabrique l’objet physique. Il apporte un soin particulier à la facture des objets car le livre n’est pas seulement un support à investir mais un médium total. Le façonnage de ses livres est soigné et souvent élégant : cahiers cousus, jaquette à larges rabats, dos toilés, papiers choisis, typographie très graphique. Il a également recours à des matériaux plus triviaux : des reliures à peignes en plastique ou à spirales métalliques, des bandes plastiques gravées à la pince Dymo comme celles que l’on colle sur les boîtes à lettres, toutes choses issues de la quotidienneté et qui renvoient joyeusement la bibliophilie classique à ses codes élitistes.
CBB

Les livres d’artistes dans la collection de la Médiathèque des Abattoirs

Le fonds documentaire des Abattoirs compte une collection importante et éclairante au regard de l’histoire du livre d’artiste, riche de plus de 2000 documents.
En effet, cette collection rend compte du développement de ce nouveau genre artistique, de sa genèse au cours des années soixante, dans la mouvance des avant-gardes, jusqu’à nos jours.

L’accent dans la constitution de cette collection a été porté sur un volet historique témoignant du rôle déterminant des pionniers, notamment l’artiste américain Edward Ruscha, qui a été le premier en 1963 à définir les lois du genre, à travers l’emblématique "Twentysix Gasoline Stations". Les livres sont dès lors, des projets artistiques en soi que l’on doit considérer comme une œuvre véritable : le livre est par lui-même un processus.
Témoignent de ce même postulat, les publications éditées par le galeriste-artiste Seth Siegelaub qui ont donné une dimension radicalement différente au catalogue qui devient alors un objet de référence en soi : le catalogue se revendiquant comme exposition, un concept magistralement représenté dans le fameux "Xerox book", ou encore à travers "March 1969" ou "January 5-31".
Edité en 1968, le "Xerox book" est un livre pour lequel C. André, R. Barry, D. Huebler, J. Kosuth, Sol Lewitt, R. Morris, L. Weiner vont concevoir un projet/œuvre réalisé spécialement pour la publication et développé sur 25 pages ; le livre est destiné alors à tenir lieu d’exposition elle-même.

En marge de cet aspect historique, la collection rend compte du développement du livre d’artiste, médium largement utilisé par les artistes contemporains (Claude Closky, Mark Dion, Jonathan Monk, Christian Boltanski, Larry Clark, Marie-Ange Guilleminot, Gelitin …).
C’est tout naturellement dans la lignée de cette collection que s’inscrivent les livres de Jean-Claude Loubières.

La Médiathèque des Abattoirs propose un éclairage sur l’art du XXème et XXIème siècles, à travers un fonds documentaire de référence, riche de plus de 25 000 documents.