Extraits et extractions

Une présentation de la collection des Abattoirs avec des travaux de Dove Allouche, Alberto Burri, Jean Dubuffet, Anthony McCall, Cildo Meireles, Pat O'Neill, Jean-Paul Riopelle, Ben Russell, Shozo Shimamoto, Antoni Tàpies, Chiyu Uemae, Toshio Yoshida, ...

L’exposition Extraits et extractions se déploie sur la partie gauche du rez-de-chaussée et dans les salles du sous-sol pour offrir une coupe dans la collection des Abattoirs. Des années 1950 à nos jours, elle aborde celle-ci sous l’angle de la "ressource", en relation avec le projet Anthropocène monument présentée simultanément. Chacune des œuvres présentées ici résulte d’une extraction faite dans des matières physiques (la terre, l’eau), iconographiques (des images), voire des éléments (le feu, l’air). Ce geste, réel ou symbolique, vise à la saisie par les artistes de leur environnement.

Une salle est consacrée aux abstractions informelles et matiéristes des années 1950 (Dubuffet, mais aussi Tàpies, Riopelle ou les tableaux de Shimamoto ou Uemae, membres de Gutaï). Elle rappelle les obsessions terriennes de l’immédiate après-guerre. Dans les années zéro qui suivent le traumatisme, les artistes explorent de manière radicale le monde. Ils reviennent jusqu’à ses racines, sa matière brute. Impliquant parfois leurs corps, ils laissent des marques et des griffures, ils expérimentent de nouvelles liaisons entre nature et culture et redéfinissent les instants de transformation du monde en œuvre.Une vingtaine d’années plus tard, avec Runs good (1970), film en trois écrans, l’américain Pat O’Neill (1939, Los Angeles, USA) se remémore les pulsions productives, industrielles et destructives des mêmes années à travers, selon ses termes, un "voyage sombre pour revisiter des événements, actualités et traditions populaires associées aux années 1940 et 1950". Ici c’est un monde d’images qui est rebattu dans des distorsions chromatiques et optiques. À côté de ces couleurs, la monochromie des dessins de Dove Allouche (1972, Sarcelles) n’est pas un contrepoint. Elle participe au contraire du même processus de forage, de remémoration. Son Paysage de Somme achevé en 2014 a été dessiné à partir d’une vue stéréoscopique d’un paysage dévasté par les impacts de la première guerre mondiale. Dans cet écho à la messe de terre de Dubuffet, la terre est retournée. Il n’y a pas de corps et elle devient son propre charnier.Pour Melanophilia II, Dove Allouche s’est rendu au Portugal à la suite de l’incendie d’une forêt d’eucalyptus. Sur place, il n’a pu rester que quelques minutes, photographiant de manière compulsive et presque automatique le paysage dévasté. Cette centaine d’images, fragments d’un panorama calciné, a ensuite été au centre de sa vie pendant cinq ans. De 2003 à 2008, il s’est attelé à reproduire précisément chacune d’entre elles, noircissant au graphite 140 feuilles qui désignent par la matière et le dessin une nature carbonisée. Dans cet accrochage en grille, les vides correspondent aux périodes de non-activité de l’artiste.Extraits et extractions navigue ainsi entre une matière première recréée, des dessins dans l’espace qui s’apparentent à des percées dans l’air (Anthony McCall, Leaving with four half turns) et des panoramas bouleversés (Trypps #7 (Badlands) de Ben Russell). Là, l’artiste capture le regard intérieur désorienté d’une jeune fille perdue dans les Badlands, territoire indien du Dakota. Ciel et terre s’y rejoignent.C’est dans une confusion sensorielle voisine que s’achève l’exposition avec Marulho de Cildo Meireles (1948, Rio de Janeiro, Brésil). Dans cet environnement, le spectateur surplombe une mer de livres dans laquelle le mot "houle" se fait entendre dans une cinquantaine de langues. "Ressac qui s’affole de tant tourner", selon les mots du poète antillais Edouard Glissant (1928-2011), la houle est ici un extrait sans fin du monde.