Des Accords, 4 temps dans la collection R. Azibert

Depuis une trentaine d'années, le docteur Raymond Azibert, psychiatre, a constitué une collection, non pas secrète, mais fréquemment invisible. Avec la présentation d'œuvres de sa collection, les Abattoirs poursuivent leur politique d'exposition et d'enrichissement liée aux collections privées.

Comptant près de 250 items, la collection de Raymond Azibert est riche en ensembles conséquents et en œuvres d'envergure "muséales" peu compatibles avec un cadre domestique. Pourtant, la passion de Raymond Azibert est restée à rebours des collectionnites "conseillées" et institutionnalisées de la décennie passée. La frontalité objective d'un portrait de Roland Fisher, présent aux Abattoirs, en est peut-être une allégorie. Le visage du moine est à la fois un masque et un miroir de l'âme. Raymond Azibert a écrit sa collection à la première personne, sans oreille, ni conseiller. Les quelques rencontres qui l'ont accélérée sont choisies – citons celle, toulousaine, avec Brice Fauché de la galerie Sollertis.

Le rôle important joué par Raymond Azibert dans l'accrochage aux Abattoirs d'une vingtaine d'œuvres issues de sa collection est à la mesure de cette implication. Dans les quatre salles de l'exposition, deux sont des pôles d'attraction, expression de singularités fortes. Portraits photographiques d'un côté, abstraction de l'autre, ces deux bornes sont l'affirmation d'esthétiques supposées contraires. L'œil du collectionneur ne demande aucune réconciliation entre ces ensembles, mais bien l'affirmation de leurs écarts dans une appréciation subjective.

La première salle rappelle le rôle constant de la peinture dans la réinvention de l'art. Car même dans ses formes les plus radicales, celle-ci doit composer avec la tradition. Un monochrome gris d'Alan Charlton, une définition/méthode de Claude Rutault, des toiles de Daniel Buren, John Armleder, des trames de François Morellet ou encore une série de Nicolas Chardon sont quelques-uns des jalons généalogiques d'une histoire iconoclaste de la peinture. La deuxième salle est, elle, maculée de photographies. En "fond de scène", une suite d'images colorées qui récapitule les actions réalisées par Otto Muehl de 1964 à 1967 saisit le visiteur. De la réappropriation de mythologies et de rituels antiques à l'explosion d'un théâtre d'expériences, l'œuvre de Muehl affirme ici sa charge figurative. Son obsession pour la transformation, le glissement entre les genres trouvent des échos dans les autoportraits d'Urs Lüthi et de Jürgen Klauke placés en dialogue. Figure hors-norme du Pop et de l'art conceptuel, naturalisée américaine, Ruth Francken est née à Prague en 1924 dans une famille juive. Décédée en 2006, elle est ici représentée par un portrait miroir de Joseph Beuys, ancien pilote de la Luftwaffe devenu héros européen de l'art des années 1970. Partie de la série des Mirrorical return, à laquelle Jean-François Lyotard consacra un texte en 1983, cette œuvre noue les identités intimes avec l'histoire.

Au-delà de son ancrage dans les années 1970/80, qui voit la peinture dialoguer avec la photographie et l'art conceptuel, la collection de Raymond Azibert démontre un intérêt particulier pour la jeune création. Les Structures de pouvoirs, rituels et sexualité chez les sténodactylos européennes (amanuensis) de Lili Reynaud-Dewar sont un petit théâtre dans lequel se rejoue sous formes de signes, de couleurs et de frappes la petite musique de la mythologie – un brin phallocrate – d'un métier disparu à l'âge de l'informatique.

L'obsolescence et la technologie sont aussi parmi les sujets du dernier ensemble, soit deux œuvres offertes par Raymond Azibert aux Abattoirs, ici complétées par le prêt de deux œuvres de Bertrand Lavier – une composition géométrique dictée par un terrain de basket et une glissière d'autoroute devenue expressionniste. Le premier don, Sweet, light, crude est une œuvre monumentale de Jimmie Durham, variation chromatique et poétique sur le pétrole, énergie fossile au centre de tensions bien vivantes. Le deuxième, la Draisine de l'aérotrain de Raphaël Zarka est une sculpture témoignant de l'histoire d'une technologie de transport oubliée, une route vers le futur arrêtée dans le passé. "Voici voilà" nous dit aujourd'hui Raymond Azibert au sujet de son aventure.